Le temps s’arrête à midi cinq by Didier van Cauwelaert

Auteur:Didier van Cauwelaert [Cauwelaert, Didier van]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

21

Je retourne au salon, fracassé par la manière dont Brenda s’identifie à moi. Assis où je l’ai posé, le Troc joue aux échecs sur son portable. Pictone a sorti le sien, le rallume et fait défiler ses contacts comme s’il donnait des baffes à l’écran tactile.

— Elle est prête ? s’informe Arnold.

Je dis qu’elle arrive et je m’assieds près du vieux savant pour tendre l’oreille, tandis qu’il tapote nerveusement son genou en attendant qu’on décroche.

— Allô oui ? lui répond une voix d’homme angoissée.

— Qui est à l’appareil ? sursaute Pictone.

— Papy ! Mais où es-tu ?

— Louis, je peux savoir pourquoi tu réponds sur le portable de ta grand-mère ?

— Tu avais disparu ! Mamy est folle d’inquiétude, elle m’a appelé au secours, je suis venu aussitôt, on t’a laissé douze messages…

— Tout va bien, coupe le vieux d’un ton excédé. Tu peux rentrer chez toi : j’arrive.

Il raccroche, éteint son téléphone et croise mon regard.

— La famille, commente-t-il, crispé. Comment tu t’appelles, au fait ?

— Thomas Drimm.

Il se rejette en arrière, comme si je l’avais électrocuté.

— Drimm ? Tu as un rapport avec le Robert Drimm qui a interdit mon livre ?

Je précise à voix basse que ce n’était pas contre lui. Mon père travaillait pour les rebelles comme agent double au Comité de censure, c’était le seul moyen pour lui d’avoir accès à la littérature d’opposition, il faisait des fausses fiches de lecture pour autoriser les bouquins, mais il s’est fait choper, alors on l’a viré et, là, on vient de l’arrêter.

— En route, les garçons ! lance Brenda en surgissant, jupe serrée et veste boutonnée jusqu’au menton.

Le Troc saute sur ses pieds. Pictone, lui, se lève lentement en me détaillant d’un air critique. Il se méfie de moi, d’un coup. Je préfère. Ça va peut-être le détourner de la recette de destruction du Bouclier que je lui ai soufflée malgré moi. Il m’empoigne soudain pour m’entraîner à l’écart.

— Tout ce que tu m’as dit sur le canon à protons, ça ne vient pas de mon livre et personne d’autre que moi ne pouvait arriver à cette conclusion.

Les yeux dans ses yeux, je confirme.

— Comment tu as fait ? Et pourquoi, tout à l’heure, tu as dit « ma veuve » ?

Je pousse un soupir de soulagement. Il est mûr pour entendre la suite. Mais j’ai besoin de ma pièce à conviction. Je dis à Brenda que je fais vite un saut chez moi : je les retrouve dans la voiture. Je dévale l’escalier, traverse la rue, pousse la porte que les flics ont laissée ouverte. Et je m’arrête, tétanisé.

La maison est sens dessus dessous. Ils ont vidé les placards, renversé les tiroirs, éparpillé les documents, le courrier, les copies corrigées. C’est bien ce que je pensais. Quand on accuse un prof d’alcoolisme, on ne fouille pas dans ses papiers.

Saisi d’une angoisse violente, je cours dans la chambre de ma mère, me jette à plat ventre pour attraper sous son lit la caisse de mes souvenirs d’enfance. Ouf.

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